Le nouveau gouvernement néerlandais a fait ce que la Belgique ne parvient apparemment pas à faire : une véritable politique des médias. Le cabinet de centre-droit du VVD, CDA, D66 et de l’Union Chrétienne a rédigé dans sa nouvelle coalition un passage entier expliquant pourquoi ils veulent travailler sur le journalisme d’investigation et promouvoir le journalisme local et régional. Un choix clair, substantiel.
Le nouveau gouvernement néerlandais allouera chaque année 5 millions d’euros supplémentaires pour soutenir le journalisme d’investigation et le journalisme régional. Ce n’est pas beaucoup d’argent, mais cela peut avoir un impact bien réel. En Belgique, le gouvernement fédéral verse chaque année 250 millions d’euros de subventions dans le puits sans fond des grandes entreprises de la presse. Sans qu’aucune condition importante ne soit associée au journalisme.
Et se sont pas que des paroles en l’air, le gouvernement va aussi sortir de l’argent. D’ici 2021, chaque année, 5 millions d’euros seront consacrés au journalisme d’investigation, comme le montrent les états financiers. C’est ce qu’écrit Villa Média, un site qui se spécialise dans la couverture médiatique des Pays-Bas.
« Cette forme de journalisme est mise sous pression, mais elle est vitale pour l’activité de contrôle exercée par le journalisme. Le cabinet estime que le médiateur interne est d’une grande importance », écrit le gouvernement néerlandais dans son accord.
« Les défis pour les entreprises de journalisme et des médias sont énormes, au niveau national, régional et local. Les grandes entreprises internationales dominent le marché mondial et l’information est souvent accessible numériquement directement et gratuitement. Il n’est donc plus aussi facile pour le journalisme d’investigation indépendant, et un diffuseur public fort de se ménager un espace à tous les niveaux, mais cela est nécessaire en raison de la mutation du paysage médiatique. C’est pour cela que nous voulons y contribuer dans les années à venir » indique l’accord de coalition aux Pays-Bas.
Sous perfusion des fonds publics via Bpost et 0 % de TVA
Les mesures aux Pays-Bas sont en contraste frappant avec ce qui se fait en Belgique en matière de politique des médias. Ou tout simplement, ce qui ne se fait pas. Car chaque année, les entreprises des médias reçoivent de grands apports, mais pas dans le cadre d’un soutien ciblé, comme les Pays-Bas sont en train de le faire.
Le gouvernement belge injecte de l’argent public de 2 manières dans le secteur des médias. La mesure la plus simple est la TVA sur les journaux imprimés. Aux Pays-Bas, ce taux est de 6 %, et le gouvernement n’a pas peur de le porter à 9 %. Voilà ce qu’il faut y comprendre : ce n’est pas les grandes entreprises des médias qui sauveront le journalisme, mais plutôt une injection directe dans le journalisme d’investigation.
En Belgique, le taux de TVA pour les journaux imprimés est encore de 0 % : c’est le seul produit dans l’ensemble du pays sur lequel cette exception s’applique. Cela correspond à un don de quelque 120 millions d’euros par an dans le secteur des journaux imprimés. Car pour le journalisme numérique, vous payez la TVA au plus fort, autour de 21 %.
Un second afflux d’argent public, encore plus important, vient du contrat que l’on appelle le service postal. Il s’agit d’une somme de 200 millions d’euros par an, que le gouvernement paye à Bpost pour contribuer à financer la distribution des journaux dans les régions pour lesquelles il serait autrement beaucoup plus cher d’obtenir le journal du matin à l’heure. C’est donc un soutien pour Bpost, mais surtout pour Mediahuis et De Persgroep en Flandre, ainsi que IPM et Rossel en Belgique francophone. Le contrat est attribué pour 5 ans : cela correspond donc à 1 milliard d’euros d’argent du contribuable à verser.
Une bouée de sauvetage pour les éditeurs francophones
Lorsque le contrat devait être renouvelé en 2015, il y a eu une pression énorme du secteur des médias belges et de Bpost sur le gouvernement fédéral. Car les groupes de médias francophones Rossel et IPM sont chancelants : si on leur retire cette subvention, ils seront en grande difficulté. Mais il y a plus : le pilier catholique défend également ce contrat, car un certain nombre de ses publications y trouvent des avantages : entre autres « Visie », de la Mutualité chrétienne.
Et tandis que les groupes francophones peinent à survivre, les éditeurs flamands disposent d’une bonne marge de manœuvre financière. Les membres du gouvernement ont défendu la décision, en faisant valoir que « les médias sont en pleine transition ». Mais cette « transition » se traduit donc par des résultats positifs pour Mediahuis et De Persgroep : leur cash-flow a été fortement renforcé par la subvention à Bpost. Et grâce à ce flux de trésorerie, ils ont pu réaliser des acquisitions aux Pays-Bas, au Danemark, et récemment aussi en Flandre. De Persgroep a racheté plus de la moitié des actions de Medialaan et de Roularta pour plus de 200 millions d’euros.
Dans les partis libéraux de l’Open VLD et de la N-VA, on pouvait entendre en 2015 officieusement que « cette fois-ci, c’est la dernière fois que nous accordons cette subvention ». L’argent des impôts continuera donc de couler jusqu’en 2020.
Problématique
Les 200 millions d’euros de fonds publics ne sont pas liés à des conditions journalistiques ou de contenu : il s’agit purement d’un soutien financier pour l’édition. Les produits de papier qui sont livrés à domicile par le biais d’abonnements sont ainsi ceux qui obtiennent le plus d’argent. Selon le CIM, les plus gros titres en termes d’abonnement sont Het Nieuwsblad, Het Laatste Nieuws, De Standaard et Het Belang van Limburg. Tous sont détenus par 2 sociétés : Mediahuis ou De Persgroep. On y trouve aussi les magazines Knack, Humo et Dag Allemaal.
L’afflux de l’argent du contribuable belge a aussi un énorme impact sur les médias aux Pays-Bas. Au Danemark, il est palpable, mais il est surtout visible aux Pays-Bas. Les éditeurs de journaux flamands y sont particulièrement dominants : De Persgroep (Het Laatste Nieuws, Humo, Dag Allemaal, De Morgen en Belgique) avec le Volkskrant, AD, Trouw, Het Parool et une gamme de journaux régionaux qui constituent un portefeuille épais. Mediahuis, l’autre grand acteur flamand Het Nieuwsblad, Gazet van Antwerpen, Het Belang van Limburg, De Standaard) a racheté Telegraaf Media Groep (TMG). Il a pris entre autres possession de NRC Handelsblad et de De Limburger.
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