Olivier Maingain, président de DéFi, fait le bilan de l’année politique 2017. L’occasion pour lui de regretter la fin du libéralisme social en Belgique et de tancer la politique du gouvernement actuel sur plusieurs points.
Olivier Maingain, comment qualifieriez-vous l’année politique écoulée ?
Très vivante, c’est le moins que l’on puisse dire. Très animée même, beaucoup de rebondissements, beaucoup d’événements un peu inattendus. Je crois que c’est une année qui aura finalement fait basculer beaucoup de références et beaucoup de repères dans la vie politique. Je crois qu’elle va avoir des répercussions sur le long terme.
Dans les affaires Publifin et du Samusocial, au-delà des fautes personnelles, est-ce que ce n’est pas la remise en cause de tout un système ?
Oui. C’est le fait que pour beaucoup de politiques, la gestion des influences ou des rapports de force est devenue plus importante que la gestion de projets, la réalisation d’objectifs nobles en politique. Et donc, je suis toujours effaré de voir le temps que consacrent certains responsables politiques, même moi il ne faut pas se le cacher, à savoir qui va assumer telle ou telle responsabilité. Finalement, tout ça n’est pas l’objectif premier du public. Il faut pouvoir mettre une distance par rapport à cette obsession du pouvoir pour le pouvoir.
Avec une responsabilité particulière pour le Parti socialiste ?
Oui certainement parce qu’il a une position très forte, certainement encore plus en Wallonie qu’à Bruxelles, qui fait qu’il est depuis longtemps au pouvoir et qu’il a exercé son pouvoir avec des abus incontestables. Mais il a souvent trouvé des alliés, des alliés qui se sont partagés ces influences et qui ont partagé ces abus. Donc je suis très sévère à l’égard du Parti socialiste, mais je suis très sévère à l’égard de tous ceux qui l’ont aidé ou qui ont accepté parfois en fermant les yeux sur ces abus.
Ces deux affaires, singulièrement, ont fait bouger les lignes avec un changement de majorité en Wallonie. Pourquoi DéFi a-t-il dit non à Bruxelles et en Fédération Wallonie-Bruxelles ?
Pour trois motifs: un, quand on prétend faire la leçon, et notamment comme le cdH changer des majorités, il faut être sûr qu’on n’a pas de reproche à se faire à soi. Je n’ai pas jugé que le cdH était très très probant en termes d’éthique politique.
Deux, certes il faut avoir la volonté de changer le système. Mais il ne faut pas pour ça prendre le risque d’une inconnue institutionnelle, et on sait par exemple qu’à Bruxelles les équilibres institutionnels sont compliqués et que ce n’est pas le seul fait de la volonté des francophones. Il faut tenir compte de ce qui se fait dans le groupe linguistique flamand. Et il y allait avoir des effets en cascade qui auraient pu déstabiliser les institutions bruxelloises, voire même amener la N-VA dans la majorité à la Région bruxelloise. Moi je ne souhaite jamais conclure un accord de la majorité, je ne le ferai même jamais avec la N-VA.
Et trois, parce que la politique c’est travailler sur base des élections précédentes. Voilà, on forme une majorité en tenant compte des résultats d’une élection. Et on a très vite fait le calcul: il n’y avait pas de nouvelle majorité possible de manière certaine et stable sur le long terme à Bruxelles. Parce qu’elle aurait été tout au plus d’une voix et encore cette voix aurait été celle d’Armand De Decker dont on sait qu’il est pris dans des affaires pas très reluisantes non plus. Donc voilà, moi j’aimerais que mon parti ait la majorité absolue comme ça, je suis certain de ne pas devoir faire des alliances qui ne sont pas celles que je ferais le plus spontanément. Mais il y a une réalité mathématique qui s’est imposée au soir des élections 2014, je travaille avec cette réalité-là.
Mais il en ressort que le parti DéFi en est sorti grandi d’après les sondages ?
Je crois que c’est une évolution qui s’inscrit plus sur le long terme. Maintenant moi je suis très modeste, je sais que la vie politique, elle peut changer très vite (…). Mais ce que je crois qui a payé et ce qui continue à être très convaincant pour beaucoup de gens qui veulent nous faire confiance, c’est que nous sommes constants, cohérents. On n’a pas d’affaires, on n’a pas de scandales dans notre parti. C’est une manière de se conduire dans l’action publique. Quand on dit qu’on prend des engagements essentiels, quand je dis que je ne ferai jamais d’accord avec la N-VA, on peut être certain que je ne proposerai jamais à mon parti de faire un accord avec la N-VA. Les gens savent que nous sommes de parole. Et dans les circonstances actuelles, ça paie.
Vous personnellement, vous avez été élu personnalité politique de l’année, les sondages vous place en tête à Bruxelles, ça fait du bien à l’ego ?
On est toujours content de savoir qu’on ne travaille pas sans avoir une chance d’être écouté, d’être approuvé. Mais, comme je l’ai dit, la vie tourne vite en politique. On prend beaucoup de temps pour monter, mais on peut redescendre très vite. Tout ce que je tenterai de faire, c’est de rester sur cette ligne de conduite qui est la mienne depuis longtemps. Et qui fait que les gens reconnaisse la cohérence et la constance. Mais je sais qu’il faut toujours recommencer le travail et j’ai cette volonté de ne jamais m’arrêter à un moment présent. Je pense toujours à l’avenir.
Justement, comment voyez-vous l’évolution du parti ? Certains vous reprochent de régner seul en maître à DéFi…
D’abord je l’ai dit, c’est mon dernier mandat. Donc après les prochaines élections régionales et fédérales (2018), il y aura un nouveau président ou une nouvelle présidente. Je ne serai plus candidat et quand je le dis c’est vrai. Je suis convaincu qu’il y a dans la nouvelle générationde jeunes prometteurs, il faut les faire connaître. Et justement, il faut parfois profiter des circonstances favorables dans un parti pour faire émerger la nouvelle génération. J’en ai moi même bénéficié en son temps. J’ai été un très jeune président de parti parce que ceux qui me précédaient on dit: c’est l’occasion de passer le témoin et j’ai retenu cette leçon.
Vous pensez à qui ?
Il y en a qui sont déjà connus comme Emmanuel De Bock, notre chef de groupe à Bruxelles, mais il y a aussi des Sophie Rohonyi, Michaël Vossaert, Nicolas Harmel… Je pourrais vous en citer encore bien d’autres, il y en a beaucoup en Wallonie aussi. Quand je vois nos deux têtes de liste à Charleroi et Liège, Jean-Noël Gillard et François Pottié, ils ont tout au plus trente ans.Donc oui, la jeune génération est là.
La Wallonie, un sacré défi pour votre parti ?
Alors quand j’ai lancé l’idée de notre présence en Wallonie, tout le monde m’a un peu regardé en disant, mais ‘que fait-il?’. Comme quand on est sorti du MR d’ailleurs. En 2011, certains se disaient ‘est-ce que ce n’est pas un risque, est-ce qu’on ne ferait mieux pas de rester bien au chaud au sien du MR’, moi si j’avais voulu, je serais peut-être ministre aujourd’hui. Mais je serais incapable d’être honnête avec moi-même si j’avais accepté cela. Là aussi, l’audace dans la constance paie.
Aujourd’hui, petit à petit, le parti se construit en Wallonie. Il y a encore beaucoup de travail, il faut se faire connaître, faire connaître nos idées… Je suis assez confiant parce que, notamment en Wallonie, les gens se disent ‘c’est un parti crédible, c’est un parti sérieux qui a prouvé l’honnêteté de sa gestion, donc on peut lui faire confiance’.
Pour en revenir au fédéral, la gestion de la politique migratoire a marqué cette année 2017: la jugez-vous inhumaine ou est que l’on traite trop vite Theo Francken de fasciste ?
Je ne la trouve pas du tout respectueuse de la dignité humaine. Ce que je n’aime pas chez lui, c’est qu’il a la volonté de montrer qu’il humilie les plus faibles et ceux qui sont les plus exposés à la traite des êtres humains. Plutôt que d’avoir l’audace de s’en prendre aux mafias organisées qui sont derrière tous ces réseaux. Il a plus vite fait de dire qu’il fait nettoyer le parc Maximilien. Mais non, il ferait mieux de nettoyer les réseaux qui exploitent ces pauvres personnes.
Alors il ne faut pas pour autant être laxiste, moi je ne suis pas pour dire: ‘tout le monde a le droit de séjourner en Belgique’. Mais ce que je n’aime pas, c’est qu’il aime donner un sentiment de triomphe, de satisfaction aux sentiments les plus nauséabonds, en disant ‘regardez, j’en expulse encore, j’en remets aux autorités soudanaises’. Ce qui est un vrai scandale. Il ne fallait pas être un grand connaisseur de la réalité pour savoir qu’en renvoyant ces gens vers le Soudan, et en collaborant avec la police politique du régime, ils allaient être amenés à l’arbitraire voire à la torture. Et donc il y a toujours ce côté nauséabond dans tout ce qu’il entreprend.
Fasciste? Alors le terme est peut-être un peu vite dit, mais on voit qu’il a une complaisance vers des thèses d’extrême droite, c’est incontestable. Ce côté insistant qu’il a, qu’il met en évidence, que finalement, il s’offre des immigrés ou des personnes en séjour illégal comme des trophées, tout ça pour dire aux gens ‘vous voyez ce à quoi j’arrive à leur faire subir’, c’est insupportable. Il faut quand même se souvenir de ce qu’ont été les pages les plus noires de notre histoire. On n’a pas fait le projet européen pour qu’aujourd’hui, de nouveau en Europe, il y ait des partis qui se nourrissent de la haine de l’autre.
Charles Michel se félicite souvent de ses réformes économiques avec son fameux slogan “Jobs, jobs, jobs”, mais ne pensez-vous pas que les jeunes sont les grands oubliés, spécifiquement à Bruxelles ?
Il y a d’abord la politique de l’exclusion du chômage qui dit que si un jeune ne termine pas ses études avant 25 ans, il en est exclu. Je trouve ça insupportable. C’est vraiment envoyer un mauvais signal aux jeunes qui se forment (…). C’est la vision d’une société dure, c’est d’ailleurs ce que je reproche à ce gouvernement. En négligeant le dialogue entre les différents partenaires sociaux, ce gouvernement installe une société de l’affrontement. Or, je ne crois pas qu’on fonde un projet économique et social sur le long terme dans une logique de l’affrontement. Et ce gouvernement nourrit finalement des affrontements très durs: les jeunes sont exclus pour une part, les personnes retraitées ne bénéficient pas du tout de la réforme fiscale, il y a des pans entiers de la société qui sont oubliés.
Alors on peut certes dire: ‘nous créons de l’emploi’. Mais soyons de bon compte. Une bonne partie des emplois créés le sont dans le courant de la croissance européenne, une croissance qui d’ailleurs en Belgique est plus faible que la moyenne des autres États européens. Cela veut dire que les réformes de Charles Michel et son gouvernement ne sont pas si efficaces que cela.
Le signal qui est donné, c’est ‘sachez qu’il n’y aura plus de main tendue pour les plus faibles’ (…). La dimension humaine n’est jamais prise en compte. On est dans une logique ultralibérale dans le mauvais sens du terme.
Sur les questions environnementales, la sortie du nucléaire a fait récemment débat. Le MR dépend-il trop de la N-VA sur cette question ?
Le MR a perdu beaucoup de sa force de conviction et d’identité en étant maintenant très souvent à la remorque de la N-VA. Ce qui fait d’ailleurs que beaucoup d’électeurs MR commencent à être très perturbés. L’histoire du libéralisme social? comme moi je l’ai vécu quand j’étais au sein du MR, tout ça n’existe plus. La N-VA écrase littéralement la dimension du libéralisme social.
Alors sur le pacte énergétique, on sait que la sortie du nucléaire est fixée par la loi. Donc ceux qui prétendent ne pas vouloir atteindre ces objectifs méconnaissent une obligation légale. Mais ce qui est lamentable c’est que le signal que finalement, on ne peut pas faire un choix de société sur le long terme en Belgique.
Pourquoi ?
Parce que d’abord pour la N-VA, se projeter à 2025-2030… Ils se disent que la Belgique n’existera peut-être même plus puisqu’ils sont pour le séparatisme. Donc construire un projet sur le long terme, ça ne les intéresse pas. Mais en plus parce que, pour la N-VA, le calcul est purement de court terme. L’énergie nucléaire offre un avantage économique aux grandes entreprises, très grandes consommatrices d’énergie, particulièrement au nord du pays et notamment tout le bassin industriel d’Anvers et de Gand où il y a de grandes industries pétrochimiques. Et donc le calcul ne se fait que dans l’intérêt de ces milieux-là (…).
Si on ne donne pas le signal de la reconversion énergétique en invitant les grands groupes financiers à investir dans le développement durable, eh bien je crois qu’on va rater plusieurs enjeux environnementaux majeurs.
Pour rester sur la N-VA, elle semble avoir changé de stratégie ces dernières années, en ne s’attaquant plus spécifiquement aux francophones mais à la gauche…
Ils savent très bien que quand ils tapent sur le Parti socialiste, ils s’adressent quand même à une bonne partie de l’électorat au sud du pays. Maintenant je crois qu’il y a une double évolution de la N-VA. Elle a d’abord pris goût à exercer le pouvoir (…) et puis elle a compris qu’elle utilisait bien les leviers aux bénéfices des intérêts de la Flandre principalement.
Et donc, chaque fois que la N-VA peut montrer que sa manière de gérer se distancie de la manière dont sont gérées certaines institutions au sud du pays – et les scandales lui donnent des arguments faciles – elle fait coup double. Elle soigne bien les intérêts de la Flandre et en plus, elle montre qu’on n’est pas dans la gestion laxiste, tout à fait condamnable, que portent certains partis au sud du pays. C’est pour ça que j’enrage. Je me dis toujours que les scandales que l’on connaît en Wallonie comme à Bruxelles nous affaiblissent collectivement pour tenir le rapport de force avec la N-VA. Et donc je suis furieux de ces partis qui nous affaiblissent sur ce rapport de force qui ne nous est déjà pas très favorable dès le départ.
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